Jardin du Luxembourg ce 1er juin
Quand il s’avance vers moi, je remarque aussitôt ses foulées amples, sa démarche souple, assurée. Pas de doute, j’ai devant moi un marcheur. Samuel revient d’un voyage au long cours, au très long cours. Parti un beau matin depuis Paris sans un sou vaillant, sans cartes IGN et sans téléphone, avec une boussole tout de même et pour cap : Jérusalem. À pied.
L’idée n’est pas apparue comme ça, d’un coup ; elle était tapie, là, depuis très longtemps,un rêve de gosse qui aimait les récits de voyages et les épopées, qui a grandi avec en tête le désir de s’aventurer loin. Très loin. Et puis, à 22 ans, alors qu’il renouvèle son année de khâgne, cette idée s’impose avec l’évidence soudaine qu’il faut partir : maintenant. Ce désir devenait tellement poignant, impératif, comme une nécessité, je ne pouvais pas résister.
Nous sommes le 22 septembre 2016, Samuel largue les amarres.
Marcher seul ? Indispensable car c’est un tout autre voyage. La solitude apporte une grande liberté, elle nous révèle à nous-même. En même temps j’avais besoin des autres, puisque je demandais tout, l’hospitalité, de la nourriture, quels chemins prendre…
Les accueils qui l’ont le plus touché ? Ceux chez qui c’est une évidence, il n’y avait pas de temps entre ma demande et leur réponse. Comme si j’étais attendu.
Comment tient-on pendant des mois, seul, sans connaître la route ni la langue, mais plutôt la faim, la soif, le froid… ? Il faut aimer cela : aimer marcher, aimer être seul. En partant, je savais qu’il y aurait des kilomètres sous la flotte, des nuits pénibles et je l’acceptais, puisque ça faisait partie de ce voyage que j’aimais de toute façon.
Pourquoi Jérusalem ? Même si j’ai choisi ce lieu pour des raisons spirituelles, j’aurais pu viser un autre cap. C’est bon signe d’oublier sa destination, pour goûter le simple fait de marcher et de se laisser appeler par les sentiers. Voilà ce qui compte.
Quand je demande à Samuel de me citer des événements complètement inattendus – comme sa nuit de Noël au Mont Athos – je récolte un regard perplexe : le voyage apporte son lot de surprises quotidiennes, qui l’une après l’autre composent le merveilleusement inattendu. Voyager c’est surtout ne rien prévoir, se livrer à l’inattendu. L’important est d’expérimenter ce quotidien, c’est lui que je retiens.
Ce n’est pas la destination qui compte, mais les presque rien du quotidien ; ce sont eux qui font notre chemin et le rendent unique. Heureux ou difficiles, Samuel les appelle des surprises.