Vous savez, je n’ai rien fait d’extraordinaire !…


Je ne peux m’empêcher de sourire devant cette exclamation qui revient –  mot pour mot ! – chez chacun de mes ‘conteurs’ et ‘conteuses’ comme je les appelle, avant même que se mette en route le récit de leur histoire.
Comme si une vie humaine devait receler de l’extraordinaire – inouï, inédit, incroyable et tous les ‘in’ que l’on voudra – pour se montrer réussie et donc présentable : en tout cas digne d’intérêt.

Quand l’écriture de ce voyage prend fin et que l’on embrasse du regard son histoire comme un vaste paysage où les événements font écho entre eux, la question de l’extraordinaire se pose-t-elle encore en ces termes d’inouï, d’inédit et d’incroyable ?                                       
Pas vraiment ! Devant ce qui a été rassemblé en un récit, le regard se pose bien davantage sur comment cela a été vécu : ici affleure la part unique de chaque vie. N’est-ce pas là l’extraordinaire qu’elle représente ? Un extraordinaire qui ne saurait se conjuguer uniquement avec les verbes avoir, agir, réussir et briller, mais se décline comme une histoire à part, qui à ce seul titre mérite d’être partagée : aussi simple soit-elle.


À ceux qui mesurent volontiers la face présentable d’une vie à l’aune de brillantes réussites, voici la réponse de Ralph Emerson, un essayiste américain du 19ème siècle :

Rire souvent et sans restriction,
s’attirer le respect des gens intelligents et l’affection des enfants,
tirer profit des critiques de bonne foi et les trahisons des amis supposés,
admirer ce qui est beau,
voir chez les autres ce qu’ils ont de meilleur,
donner de soi-même,
laisser derrière soi quelque chose de bon :
un enfant en bonne santé, un coin de jardin,
savoir qu’un être au moins respire mieux
parce que vous êtes passé en ce monde,

voilà ce que j’appelle réussir sa vie.